En tant que photographe comme en tant que personne, on est toujours la somme de ses expériences. Et en photographie comme dans la vie, il n’y a aucune solution définitive qui convient à tout le monde, chacun prend ce qui lui convient et fait son petit mélange.
J’ai récemment lancé un podcast, dans lequel j’interviewe des photographes reconnus et accomplis, et surtout intéressants. Au moment de choisir ma ligne éditoriale, je me suis retrouvé face à un choix pas si difficile: qu’est-ce que je veux apporter aux gens qui m’écoutent?
Ce qui fonctionne bien et facilement aujourd’hui, c’est le contenu rapide et/ou facilement actionnable: moins de 10 minutes, un conseil technique facile à reproduire et ne nécessitant pas trop de réflexion, ou une rubrique d’actualité/matériel avec des liens sponsorisés à gogo. Mais ça existe déjà, je ne suis pas stimulé par ces idées, et pas encore motivé par le gain pour ce qui concerne le podcast (même si la monétisation viendra en son temps, pour info je me donne 2 ans , donc 48 interviews, sans me soucier d’un quelconque métrique).
Je me suis alors demandé ce que j’aimerais écouter, et ce que j’aurais aimé avoir sous la main à l’époque où j’étais plus jeune photographe. Et la réponse est simple: au delà de la technique, j’aurais aimé avoir une philosophie, un état d’esprit, qui me guide quand j’ai un doute. Une technique vous apprend ce que vous pouvez faire, un état d’esprit ce que vous devez faire.
J’ai fait un certain nombre de formations, en ligne et en personne, et les meilleures ne sont pas celles où on apprend une technique donnée, où on joue avec plein de matériel pour se faire une expérience sous le contrôle d’un spécialiste. Les meilleures, ce sont celles où on s’assoit, où on regarde des photos, les siennes ou celles d’un autre, et on essaie de comprendre l’intention qui se cache derrière chaque image. Où on regarde ce qui va et ne va pas dans chaque image. On tente de repérer ses erreurs de façon à ne pas les commettre à nouveau. Et dans le même temps, je ne suis jamais reparti de ces évènements avec un état d’esprit prêt à l’emploi. J’y ai retenu deux ou trois petites choses qui font leur chemin doucement dans mon esprit, s’implantent tranquillement dans ma pratique, avant que je les intègre, que je n’y pense plus, et que je puisse m’en approprier d’autres.
D’où ma théorie du photographe lego: Chaque petit bout d’expérience qu’on prend à droite ou à gauche est une pièce de lego. La technique que vous apprenez à vos débuts? Des pièces de lego faciles à placer qui, au départ, prennent toute la place, mais finissent par former un socle sur lequel vont reposer les autres. Puis on ajoute des pièces de son expérience photographique quand on se lance sérieusement et qu’on apprend de ses erreurs. Puis on ajoute des pièces de ses interactions avec d’autres photographes, en apprenant de l’expérience qu’ils veulent bien partager. Puis on insère des pièces de sa vie privée, des romans qu’on lit, des films qu’on voit, des podcasts qu’on écoute…
Plus la pile de legos devient grande, moins on ajoute de pièces à chaque fois, mais celles qu’on ajoute tout en haut sont les plus importantes, celles qui vont vraiment vous distinguer des autres photographes. Avec la disponibilité facile du savoir aujourd’hui, toutes les bases finissent par se ressembler.
Si vous avez déjà essayé de changer consciemment une habitude, vous saurez immédiatement de quoi je parle: on ne peut rien changer de gros d’un coup, il faut faire de petits pas qu’on intègre lentement pour arriver à un vrai changement sur la durée. C’est le même mécanisme.
J’ai un livre de Sam Abell qui me plait à moitié: Je n’aime qu’une partie des photos qui y sont présentées, le reste ne m’inspire pas grand chose. Pourtant c’est un des livres les plus précieux que j’ai lu, car j’y ai pris un petit lego qui a changé ma façon de photographier: “Aucune photo ne se présente toute faite devant vos yeux”. Rien d’autre, mais ce lego est énorme et m’a fait grandement évoluer. J’ai pris une multitude de legos dans la poésie des livres d’Haruki Murakami, où les descriptions sont tellement précises qu’on ne peut qu’avoir une image qui se forme dans notre esprit en les lisant. J’en ai trouvés certains dans des films ou des séries télé, voire dans la rue. Et parfois, je reviens à quelque chose que je n’ai pas revu depuis longtemps, mes notes d‘une formation, une vidéo youtube, et j’y trouve un autre petit lego que je n’avais pas pu intégrer la fois précédente faute de temps de cerveau disponible.
Evoluer en plaçant ses legos, c’est la façon lente de faire les choses. C’est beaucoup plus facile de faire comme tout le monde, ce qui marche à coup sur, et de grimper rapidement dans les classement et les likes sur Instagram. Mais personne n’a vraiment duré comme ça. Ceux qui continuent à peser réellement aujourd’hui, les Cartier-Bresson, les Garry Winogrand, les Harry Gruyaert, les Saul Leiter, ont tous un petit truc en plus. Un état d’esprit qui transparait dans leurs images. On peut parfois parler de leur technique, mais quand on ouvre leurs livres, on entre dans leur tête, et on y trouve d’avantage une vision que des réglages.
Mon podcast, c’est ça: je veux impacter votre état d’esprit. Je veux vous présenter une table pleine de legos à chaque émission, que vous preniez un petit lego de Cyril Zekser, un petit lego de Fred Boehli, un petit lego de Pierre-Louis Ferrer, et un petit lego de Julien Apruzzese, et que vous construisiez votre tour de legos qui ne sera celle de personne d’autre.
C’est le chemin long et difficile, mais c’est celui qui est vraiment sympa à arpenter.
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